L'agence Reuters annonce la mort, hier lundi 17 décembre à New York, à l'âge de 65 ans, du producteur Joel Dorn dont le nom, pour les amateurs de jazz, restera étroitement associé à l'oeuvre de Rahsaan Roland Kirk. A l'occasion des trente ans de la disparition de ce dernier, nous l'avions d'ailleurs interrogé à son sujet et lui qui, depuis la première fois qu'il avait entendu l'un de ses disques, avait été l'un des plus ardents défenseurs du saxophoniste, avait accepter de partager quelques-uns de ses souvenirs (à lire dans notre numéro de décembre).

Cet ancien disc-jockey de Philadelphie, que sa popularité à l'antenne avait amené à rencontrer Nesuhi Ertegun, patron de la firme Atlantic, avait commencé à produire des disques en 1967, épaulant dans leurs enregistrements des artistes tels que Max Roach, Herbie Mann, Les McCann, Eddie Harris, Yusef Lateef, Mose Allison et Roland Kirk, avec qui il noua une forte complicité. Influencé par son confrère Phil Spector, il fut l'artisan de nombreux albums historiques du catalogue Atlantic et de quelques hits. Il produisit également les premiers albums de Roberta Flack ("Killing Me Softly with His Song", 1973) et de Bette Midler. Après son départ d'Atlantic en 1974, Joel Dorn avait travaillé avec Leon Redbone, Lou Rawls et les Neville Brothers. Après avoir créé Night Records, sur lequel il avait publié exclusivement des bandes de concerts au début des années 1980, il avait successivement lancé les (défunts) 32 Jazz et Label M sur lequel il avait entrepris de rééditer ses anciennes productions et d'autres inédits assortis de commentaires et de souvenirs savoureux. Il avait également collaboré avec le label de réédition Rhino Records à remettre sur le marché des albums qu'il avait produit deux ou trois décennies plus tôt. Plus récemment, il avait créé Hyena Records, label dont il défendait fièrement le positionnement délibérément hors des clivages de genre et qui a notamment publié des albums de James Blood Ulmer, Lafayette Gilchrist, John Ellis, le duo IsWhat?! ou encore Dr. John.

Nous apprenons la disparition du saxophoniste alto Frank Morgan qui était, il y a un mois encore, sur la scène du Sunside à Paris. Il s'est éteint le 14 décembre à Minneapolis, la ville où il était né le 23 décembre 1933. Fils du guitariste Stanley Morgan qui avait fait partie des Ink Spots, Frank Morgan était l'un des derniers disciples de Charlie Parker qui l'avait encouragé à faire de la musique alors qu'il n'était âgé que de sept ans, l'orientant vers l'apprentissage de la clarinette. Installé sur la Côte Ouest à l'adolescence, Morgan avait fait ses débuts professionnels à Los Angeles, au Casablanca, un club tenu par son père. Membre de la communauté des be-boppers locale, il prit Bird pour modèle à chacun de ses passages en ville, y compris dans ses excès, et enregistra, entre 1953 et 1955, avec Wardell Gray, Conte Candoli et Kenny Clarke, les prémices d'une carrière prometteuse. Mais du fait d'une addiction à l'héroïne, pendant plus de trente ans, sa vie ne fut faite que de séjours en prison et de courtes périodes de liberté, une existence qui ne l'éloigna pas, cependant, de la musique. Au pénitencier de San Quentin, il fit ainsi partie d'un big band dans lequel jouait un altiste au destin similaire au sien, Art Pepper.

Ce n'est qu'à partir de 1985 que Frank Morgan avait pu poursuivre une carrière normale et se défaire de sa dépendance. L'année suivante, épaulé par Billy Higgins, il avait donné, à 53 ans, son premier concert à New York au Village Vanguard, publié sous le titre "Bebop Lives!". Dès lors, comme pour rattraper le temps perdu, il avait réalisé de nombreux enregistrements en petite formation (quatorze disques entre 1985 et 1996, pour les labels Contemporary, Antilles, Telarc) qui témoignaient que, malgré les années d'absence, son style avait gardé l'empreinte de ses premières amours musicales. Une attaque en 1998 l'avait un temps écarté de la scène. Ses derniers disques ont été publiés par le label High Note.

J’ai longtemps été réticent à l’idée d’aller voir Sonny Rollins en concert. A cause du prix exorbitant des places, bien sûr, mais peut-être aussi par crainte d’être déçu, de voir une légende voler en éclats sous mes yeux. Profitant d’un abonnement "jeunes" (8 € la place), je me suis finalement laissé tenté par le concert d’hier soir à la Salle Pleyel. J’en suis ressorti, sinon enthousiaste, du moins content. Bien sûr, le colosse du saxophone est devenu moins inventif, plus prévisible qu’à la grande époque, mais il a su préserver l’essentiel : la générosité. Quand Sonny souffle dans son ténor, il ne le fait pas qu’à moitié ; on retrouve avec bonheur ce son chaud, ample, rugueux, plus proche que jamais de l’héritage de Coleman Hawkins, trituré et malmené avec bonheur au fil de longs solos. A côté de ce feu incandescent, les chorus de ses cinq partenaires (tout à fait honorables, au demeurant) apparaissent comme des intermèdes un peu tièdes. Mais qu'importe : comme souvent, lors de ce genre de concerts, le public était conquis d'avance.